Début février, le jeune quartet Les Ombres de la Bête, a enchaîné deux semaines de résidence au Pannonica puis au Nouveau Pavillon. Passant du format duo, (François Robin, veuze et Mathias Delplanque, électroniques) au quartet (avec Dylan James, contrebasse et Morgane Carnet, saxophones), le groupe travaille un nouveau répertoire et de nouvelles conjugaisons musicales qu’il présentera le samedi 9 mars au Pannonica, dans le cadre du festival Eurofonik.
En attendant, leur résidence, nous a permis de poser quelques questions à François Robin, l’instigateur du projet. En quête de bouleversements et d’altérités, il façonne et fait sonner l’ombre de la bête.
De gauche à droite : François Robin, Morgane Carnet, Dylan James, Mathias Delplanque © Jérôme Sevrette
Peux-tu revenir sur le choix de ce nom L’Ombre de la Bête ?
En 2019, quand j’ai commencé à me projeter sur la création du duo L’Ombre de la Bête avec Mathias Delplanque, je souhaitais m’appuyer sur deux éléments. Le premier : confier le traitement électronique à Mathias, et moi, me recentrer sur mes instruments acoustiques (auparavant je gérais en même temps les deux.) Le deuxième: composer un répertoire dissocié de ma pratique des musiques traditionnelles. En cherchant, je suis retombé sur la musique d’un jeu vidéo auquel je jouais petit : Shadow Of The Beast. J’ai trouvé là-dedans suffisamment d’inspiration, voire même de connexion avec mon instrument, pour commencer à recréer des lignes mélodiques. L’Ombre de la Bête vient donc du titre de ce jeu, mais c’est aussi en adéquation avec les sons organiques de mon instrument « animal » avec lesquels on joue : le cuir, la corne, le souffle, le bois, les lamentations et cris qu’il peut produire… Ça va aussi avec tout l’imaginaire iconographique zoomorphe de la cornemuse tel qu’on peut le voir sur certaines représentations du Moyen Âge. Les Ombres de la bête, c’est l’augmentation du duo en quartet.
Qu’est-ce qui te plaît dans le mélange et l’alliage de la musique traditionnelle à la musique digitale ?
Je vais m’arrêter aux termes mélange et alliage de ta question. J’ai appris à jouer de la veuze auprès de Thierry Bertrand, un grand musicien et fabricant de veuzes et hautbois. Mes premiers cours de musique ont eu lieu dans son atelier de lutherie, si bien que j’ai autant de souvenirs d’odeurs que de notes de mes premières leçons. L’environnement de la musique était partagé avec celui des outils, des tours à bois, des essences et des vernis, des produits pour la teinte et pigmentation, etc… Une antre d’alchimiste ! Le rapprochement entre jouer et fabriquer l’instrument m’a toujours accompagné. Si bien que dans les années 2000, je me suis tourné vers des outils électroniques pour créer de nouveaux sons, et de nouveaux modes de jeu à partir de ma cornemuse. Avec l’idée d’en jouer différemment et de l’amener vers d’autres esthétiques, d’autres imaginaires. Une démarche très empirique, qui m’a imposé de travailler avec des techniques et des outils liés aux musiques électroniques. C’est plus l’idée d’un geste et d’une démarche que celui d’une recherche d’hybridation esthétique. Après, bien entendu, on peut parler des multiples rapprochements qu’ont ces musiques dans la répétition, les boucles, la danse, la transe, le drone…
Le duo l’Ombre de la bête
Qu’est-ce qui t’a décidé à agrandir le spectre de ce projet ?
J’ai eu l’envie de continuer à creuser la musique de notre duo. Je souhaitais poursuivre notre travail commun, continuer à faire vivre L’Ombre de la Bête au travers d’un nouveau répertoire. Nous avons eu l’occasion de jouer notre premier concert avec des danseurs (le spectacle Cosmos de la Cie Linga en Suisse et pour le festival Débord de Loire à Nantes), et petit à petit notre musique s’est affirmée plus dansante et plus frontale qu’au tout début. On s’est alors dit avec Mathias qu’on avait plus envie de jouer dans cet esprit. Donc très vite on a voulu passer à un ensemble plus étoffé, avec des instrumentistes qui viendraient prendre le relais de nos instruments, nous répondre, nous titiller sur nos habitudes de jeu, mais qui viendraient aussi développer la dynamique et la tessiture de nos instruments. On avait aussi en tête de proposer un concert où les formes en duo, trio et quartet pouvaient se côtoyer sur scène.
C’est toi qui as été chercher Dylan James et Morgane Carnet ? Comment s’est faite votre rencontre ?
On a échangé sur le sujet avec Mathias dès le départ. Dylan, c’est moi qui l’ai proposé. Je le connais depuis un bon moment, parce qu’il gravite lui aussi autour des musiques traditionnelles. Je l’ai entendu en solo contrebasse-voix, il y a environ cinq ans. J’avais vraiment aimé son rapport aux sons, à la mélodie. C’est quelqu’un avec qui je souhaitais collaborer depuis un bon moment. De son côté, Mathias m’a proposé d’aller chercher un·e musicien·ne plutôt soufflant, qui viendrait des musiques improvisées et qui pourrait répondre à la veuze, et la déplacer un peu, la bousculer… Chercher de la distorsion, du relief. Après quelques discussions, le nom de Morgane a été évoqué. On s’est contacté et bingo, elle était carrément partante, curieuse comme tout.
Pour L’Ombre de la Bête, quelle est la part de travail de composition et de recomposition ? Si je ne me trompe pas, vous travaillez des sons déjà présents dans votre duo. Peut-on parler de réécriture collective ?
Cette nouvelle création a été l’occasion de remonter un répertoire. Je voulais aussi accentuer le caractère dansant du set. Je me suis replongé dans une danse traditionnelle bien précise, peu pratiquée aujourd’hui : la Grand’danse. C’est une ronde du marais nord Vendée (d’où je viens) qui a la particularité d’avoir une partie improvisée par le meneur de danse, pour annoncer un changement de pas. Je me suis plongé dans les collectages de ce répertoire pour m’inspirer de ces signatures sonores de « mènes » de la ronde. Au final j’ai composé une dizaine de thèmes ou ensemble de phrasés mélodiques, très différents les uns des autres. On s’est retrouvé en duo pour commencer à poser des idées d’accompagnement, de rythmiques, d’arrangements… Puis depuis décembre, on travaille en quartet dessus, et on mélange tous nos alliages ! Avec l’aide précieuse également de Matthieu Prual en regard extérieur. C’est donc bien une pratique d’écriture collective, même si j’ai amené la matière première. Mais finalement peu de réécriture. Il est possible qu’on reprenne quelques morceaux de notre premier répertoire, certainement en duo: on a déjà beaucoup de matière nouvelle.
Le quartet en résidence au Nouveau Pavillon © Jérôme Sevrette
Qu’est-ce que la présence du saxophone alto et baryton et celle de la contrebasse apportent à ta pratique musicale de la veuze ?
Je pense que ce sont surtout les personnes derrière ces instruments qui m’amènent à faire évoluer ma pratique instrumentale. Ces périodes de création sont des moments où on avance à tout niveau, mais avec des doutes, des remises en cause, où on déconstruit ce qui vient d’être construit. C’est déstabilisant et structurant pour tout le monde. Sur le plan musical, le sax alto et la contrebasse viennent parfois doubler des parties mélodiques à l’unisson de la veuze, créant souvent une sorte d’instrument hybride, une autre bête. En tout cas une autre identité sonore à la veuze.
Vous êtes programmés au Pannonica, mais dans le cadre du festival Eurofonik. As-tu des concerts de cette édition à nous recommander ?
Pour n’en citer qu’un, je dirais le trio de Karl Seglem. C’est un musicien norvégien qui mêle des instruments et des musiques traditionnelles de Norvège à sa pratique du jazz, du saxophone. C’est une écriture très classe, une musique aérienne assez mélodique aux sonorités riches et bourdonnantes. Comme il se fait plutôt rare en France, il ne faut pas trop hésiter.
© Jérôme Sevrette