Pour le premier concert en formule club de la saison Pannonica avait rendez-vous le mercredi 9 octobre avec The Bridge#2.4 et le bien nommé Morphose, un combo composé de deux musiciens chicagoans, l’extravagant touche-à-tout Damon Locks* et la violoniste et chanteuse Macie Stewart; ainsi que trois presque Froggies : la saxophoniste Morgane Carnet (dont c’était le premier concert en tant qu’artiste associée au Pannonica pour les deux prochaines saisons), la bassiste Fanny Lasfargues et le claviériste belge Jozef Dumoulin.
Un voyage transatlantique musical et improvisé. Un voyage retour aussi, l’aller – seize concerts organisés dans divers endroits de Chicago – ayant eu lieu en avril 2022. La précision a son importance : les cinq musiciens qui en sont au septième concert de cette deuxième tournée forment un véritable groupe. L’osmose entre ces personnalités d’âges et d’univers différents sera bien réelle tout au long du concert, qui débute dans un véritable tourbillon de décibels.
Dans un premier temps, chacun s’emploie à exister : M. Carnet fait tonner son baryton, F. Lafargues grincer sa basse et M.Stewart crisser son violon. Les filles font du boucan quand les gars sont affairés à l’électronique. D. Locks distille des ondes radio et divers samples de voix et rythmiques et J. Dumoulin triture on ne sait quoi en arrière plan, caché qu’il est par les trois musiciennes. Le périple alterne les moments de calme et de fougue, D. Locks créant le liant entre les différents solistes avec son habillage sonore. À un moment, il descendra de scène, déambulant dans la salle avec une sorte de ghetto-blaster moderne sous le bras, distillant une mélodie comme attrapée par hasard à la radio et accompagnant impromptument le concert en cours.
À mi-parcours, l’univers bruitiste se fait plus claustrophobe et quasi subaquatique. Mais la furie reviendra avec un invité, Florent Wattelier, qui, armé d’une cornemuse, fera encore monter d’un cran la frénésie musicale. La pérambulation finira comme souvent dans le calme et la douceur avec quelques accords au clavier.
Ses complices quittant le plateau, c’est à Morgane Carnet que reviendra le mot de la fin : elle remerciera le public « d’écouter (en nombre) de la musique comme ça ! » You are welcome Morgane, on se revoit bientôt !
Le lendemain, délestés de leur trois complices (deux sont dans la salle) Fanny Lasfargues et Damon Locks succédaient en duo à Morphose pour un apéro concert de gala, toujours sur la scène du Panno. Une trentaine de paires d’oreilles avertie, attablée et sirotante profite ainsi d’une deuxième escapade au pays des ondes saturées.
Si Damon Locks est l’architecte de l’exploration sonore du soir et peut donner libre cours à sa fibre créative en multipliant les beats et les samples, dans cette configuration, on perçoit davantage que la veille toutes les nuances et l’apport de Fanny Lasfargue, qui triture avec différents objets les cordes de sa basse magnifique. Le duo est en symbiose et emmène le public dans une sphère de plus en plus douce et ambiant, qui ouvre les chakras et invite à la communion. L’énergie positive distillée est telle que l’on aura droit à un rappel, après une longue improvisation de quarante minutes, ce qui est plutôt rare dans ce genre de set.
On prend et on en redemande : « Garçon, un autre Lasfargues on the Locks, please ! » Longue vie au projet The Bridge.
• Jean Do
* Damon Locks est par ailleurs leader du Black Monument ensemble, dont il faut impérativement écouter les deux albums, quitte à ne pas aller au bout de cette lecture: Where Future Unfolds, 2019, et Now, 2021, tous deux chez International Anthem Recording Company.
PHOTO © UNOEILAUCARRÉ