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PAAL NILSSEN-LOVE
BRAZILIAN NEW FUNK
PANNONICA 20 OCTOBRE 2024

Allons nous promener aux Etats-Unis du Brésil […]
Allons défiler dans la rue où est passée l’école de samba Mangueira
Cateano Veloso, « Enquanto seu lôbo não vem »

 

Né un 24 décembre (1974) à Molde, c’est-à-dire sûrement sous la neige : Paal Nilssen-Love était-il fait pour chanter le Brésil ? Le jazz, c’est une chose entendue : ses parents tiennent un club à Stavanger, dans le sud de la Norvège, et son père joue en plus de la batterie dont l’enfant s’approprie bientôt tous les éléments. De la musique qu’il entend à domicile, Paal retiendra un grand solo déposé par Jo Jones sur un enregistrement de « Caravan »1 et les imposantes relectures du répertoire de Coltrane par le saxophoniste (et ami de son père) Frode Gjerstad.

Voilà donc un parrain tout trouvé : Nilssen-Love n’a que quinze ans quand Gjerstad lui propose d’entrer dans son Circulasione Totale Orchestra, grand ensemble qui permet au saxophoniste de s’essayer à diverses combinaisons et aussi de révéler de nouveaux talents : « Frode, c’est l’Art Blakey du free jazz norvégien, il était très fort (et reste très fort) pour dégoter de jeunes musiciens pleins d’énergie et les faire profiter de son expérience… ». C’est dans l’orchestre de Gjerstad que Nilssen-Love enregistrera pour la première fois avant d’improviser avec lui en plus petit comité : « On a ensuite joué en quartet, en trio… avant un break de quelques années, parce que j’habitais Trondheim, après lequel on a repris en trio avec le contrebassiste Øyvind Storesund, ça devait être en 1996 [1998, dans les souvenirs de Gjerstad2], pendant dix ans. Les gens n’en revenaient pas : ‘‘Vous jouez toujours ensemble ?’’ On leur répondait : ‘‘Ça fait vingt ans qu’on joue ensemble et on va essayer de continuer à jouer ensemble ces vingt prochaines années !’’ Je veux dire, c’est assez amusant pour moi de tourner avec des musiciens comme Akira Sakata, Joe McPhee quand il tournait encore ou Peter Brötzmann quand il était encore parmi nous : au bout de cinq minutes, beaucoup de jeunes ont donné tout ce qu’ils avaient alors qu’eux n’arrêtent jamais : ils poussent, et poussent et poussent encore, et ils vous emmènent avec eux… ».

S’il a signé quelques-unes des perles de sa discographie en solo (Sticks And Stones, 27 Years Later, Miró), Paal Nilssen-Love s’est souvent rapproché de partenaires assez charismatiques pour lui permettre d’en enfiler d’autres : Mats Gustafsson, Sten Sandell, Ken Vandermark, Peter Brötzmann, Joe McPhee, Dave Rempis, John Butcher, Ab Baars mais aussi Terrie Ex, Jim O’Rourke ou Otomo Yoshihide : « Aujourd’hui, si on me demandait de dresser une liste de musiciens avec qui j’aimerais jouer, je pense qu’elle ne serait pas très longue… C’est que je suis assez critique envers les autres, comme je le suis envers moi-même… ».

Heureusement, il y a ce Large Unit, grand orchestre qu’il dirige à son tour et qu’il doit bien nourrir, pour faire tendre l’oreille à Nilssen-Love : « J’essaye de me tenir au courant… Aujourd’hui, en Norvège, il y a des joueuses de saxophone très intéressantes, qui repoussent leurs limites davantage que ne le font les saxophonistes mâles, comme si elles devaient se faire une place, ou alors c’est que les gars sont plus fainéants, je ne sais pas… En tout cas, j’essaye d’aller entendre le plus de concerts possibles. Et puis il y a ces nombreux ateliers que j’anime dans des écoles de musique, des conservatoires… ».

Dans le cadre d’un de ces ateliers, lors de son premier voyage au Brésil, en 2013, Paal Nilssen-Love a rencontré le percussionniste Paulinho Bicolor et le guitariste Kiko Dinucci : « On était là, je ne sais combien de musiciens, tous assis en cercle, à faire ce genre d’exercice qui consiste à imiter ce que l’intervenant précédent vient de jouer… Et voilà Paulinho qui produit ce son avec sa cuica, très surprenant ! Il jouait de son tambour de façon tout à fait traditionnelle mais il tenait à improviser et à explorer d’autres univers sonores, ce que j’ai tout de suite trouvé très intéressant. » Quelques années plus tard, le Roskilde Festival permet à Nilssen-Love d’imaginer son association avec ses deux nouveaux amis brésiliens et son complice de toujours, Frode Gjerstad : « En 2018, le festival m’a demandé de donner trois concerts différents. Je me suis tout de suite dit : ‘‘OK, le moment est venu d’essayer de nouvelles choses !’’ Il y a donc eu le Large Unit et les deux projets New Japanese Noise avec Akira Sakata (auquel Kiko participe d’ailleurs aussi) et New Brazilian Funk. Pour ce projet, l’idée était de jouer de la musique brésilienne le plus librement possible mais avec une certaine approche funk. Pour ça, je connaissais les musiciens parfaits : Kiko, Paulinho, Frode et Felipe Zenicola – en ce moment, Felipe est occupé avec son bébé, c’est donc Mattis Kleppen qui le remplace à la basse électrique… Quelqu’un dans la presse a dit que le New Brazilian Funk, c’était un peu la rencontre d’Ornette Coleman et d’Hermeto Pascoal. Il y a quelque chose de vrai là-dedans, c’est un mélange de toutes ces musiques… ».

DE GAUCHE À DROITE :  PAULINHO BICOLOR, KIKO DINUCCI , PAAL NILSSEN-LOVE, MATTIS KLEPPEN, FRODE GJERSTAD 

Avant de visiter le Brésil et de s’essayer à sa musique, Nilssen-Love l’avait bien sûr déjà beaucoup écouté : « Il y a 25 ans, à Berlin, j’ai rencontré un saxophoniste qui jouait Luiz Gonzaga. Je n’avais jamais entendu sa musique jusque-là… J’ai acheté des CD de Gonzaga à la FNAC de Lisbonne, où je vivais alors, et petit à petit j’ai découvert de plus en plus de choses. Et puis, en 2016 ou 2017, je me suis retrouvé au Japon dans une boutique de disques spécialisée en musiques du monde où j’ai acheté des tonnes de vinyles brésiliens : Jair Rodrigues, Elza Soares, Elis Regina… Aucun autre pays n’est comparable au Brésil en termes de production musicale entre les années 1965 et 1975 : il y a eu tellement de groupes, de compositeurs, de chansons, de producteurs… Rien que le tropicalisme, et tout ce qui est venu par la suite… Une fois là-bas, évidemment, j’ai découvert tellement d’autres choses… J’en reviens toujours avec des tonnes de vinyles de musiciens dont je n’avais, la plupart du temps, jamais entendu parler auparavant. ».

Éthiopie, Brésil, plus récemment Maroc : écouter les disques et cassettes qu’il ramène de ses voyages est pour Nilssen-Love une façon de s’en souvenir : « C’est ma manière de prolonger mon voyage… Pendant deux ou trois mois, je n’écoute et ne joue que de la musique brésilienne et tout ça nourrit ma pratique : les rythmes brésiliens sont différents d’une région à une autre… Et puis il y a ces différentes scènes… À Rio de Janeiro, on m’a proposé de jouer en duo avec Arto Lindsay – c’est d’ailleurs là que tout a commencé ! Ensuite il y a eu Kiko et puis Cadu Tenório, qui est plus dans le noise… Petit à petit, j’ai commencé à travailler avec tellement de musiciens brésiliens différents. À chaque fois, mes partenaires, sans le savoir, m’amènent à jouer tel ou tel forró, telle samba de Sao Paulo ou je ne sais quel autre rythme du Nordeste… ça arrive comme ça, je ne monte pas sur scène en me disant ‘‘je vais jouer telle ou telle chose’’, ça arrive, ça survient de façon naturelle… ».

S’il fallait encore prouver l’amour que porte Paal Nilssen-Love au Brésil et à ses musiques, allons explorer la liste de 101 albums brésiliens dont le batteur conseille l’écoute sur son site Internet3 : J’ai essayé de faire court, mais évidemment c’est impossible ! écrit-il en préambule. À ces 101 références, nous pourrions ajouter ce New Brazilian Funk que Nilssen-Love a sorti en 2019 sur son propre (et élégant) label, PNL Records : les présences de Kiko Dinucci, Paulinho Bicolor et Felipe Zenicola n’attestent-elles pas l’origine brésilienne de cet album quand la force de la paire qui l’associe à Frode Gjerstad se montre capable, elle, de sublimer toutes les influences. Sur la scène du Pannonica, le 20 octobre 2024, le constat aura été le même : Je vais vous montrer comment on danse le baião, chantait Luiz Gonzaga… Et Paal Nilssen-Love de le danser maintenant à sa manière.

 • Guillaume Belhomme

  1. « Paal Nilssen-Love », Mats Gustafsson’s Discaholics! Record Collector Confessions Vol. 1, Marhaug Forlag, 2017
  2. Interview de Frode Gjerstad, le son du grisli, mars 2008. http://grisli.canalblog.com/archives/2008/03/24/8404225.html
  3. https://www.paalnilssen-love.com/101-brazilian-ambums

CRÉDIT PHOTO : 1 ET 2 © WALTER BONOMO / 3 © DR