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La Falaise des lendemains (1) est un montage rare du pianiste et compositeur Jean-Marie Machado, qui a hissé le jazz sur la scène d’opéras. Ce jeudi 27 février 2025, c’est sous les plafonds peints du théâtre Graslin que les 8 chanteur·euses et 17 musicien·nes, ont lancé leurs voix.

Le bord de la scène est un quai d’où surgissent des dockers. Au centre, la place du village. Sur une passerelle en hauteur, on accède à la falaise des lendemains, le Tornaod an antronoz d’où l’on crie ses vœux pour que le vent les réalise, et où Lisbeth a donné rendez-vous au marionnettiste qu’elle vient de rencontrer. Hélas pour eux, le despotique et jaloux chef des dockers l’a appris.

La fosse est déserte, on a placé au centre de la scène les musiciens. Répartis dans le décor par sections, ils cohabitent avec des chanteurs capables de se glisser entre les instruments et de dialoguer même parfois avec eux. Toute l’histoire se déroulera sur ces principes, en quelques lieux simples bien suffisants pour la rendre réelle. C’est que tout dans le livret est construit sur des éléments si symboliques que chacun est une figure à gros traits. On pourra regretter le schématisme des personnages, mais le récit emporte et il renforce la catharsis de la tragédie mêlant petite et grande histoire sur fond de première guerre mondiale.

Echafaudage en bois avec 2 hommes sur les côtes et des hommes et femmes au milieu

L’étonnant vient d’un cumul d’entremêlements sonores qui font écho au dispositif scénique, notamment les voix souvent en impressionnants duos. « J’entends la voix parlée comme une courbe sonore émouvante, et, souvent, le texte lu m’évoque des univers musicaux, la musique de la voix plus que le sens propre des mots. Nos voix sont nos premières émotions de vie, nos signatures qui donnent corps à nos êtres vivants. Elles font résonner nos sentiments, elles sont les substances du sensible en nous », écrit Jean-Marie Machado dans le livret. Et en effet la musique se fait discrète malgré le grand nombre d’instruments derrières les chanteur·euses. L’entremêlement est aussi fait des trois langues utilisées : le français, l’anglais et le breton. On passe de l’un à l’autre en cours de phrase et ce sont trois instruments en soi, avec leurs caractéristiques respectives : glissements d’intervalles, rondeurs, fracas des syllabes.

C’est surtout entre deux moments d’action que la musique de Jean-Marie Machado s’avance seule, souvent pour caractériser une ambiance, avec quelques brefs solos qui mettent en avant le tuba, l’accordéon ou la guitare électrique. Au fil des tableaux mis en scène par Jean Lacornerie, le drame progresse inéluctablement vers sa résolution. Et ce n’est pas un moindre mérite qu’une fois le grand rideau refermé, la musique et l’histoire chantée restent dans les mémoires à ce point inséparables.

• Camille Pollas

(1) La Falaise Des Lendemains est une coproduction de l’opéra de Rennes, d’Angers-Nantes Opéra, de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, de la maison des arts de Créteil et de Mahagonny Cie.

CRÉDIT PHOTO FILAGE ET RÉPÉTIONS PAR LAURENT GUIZARD.