MERCREDI 9 NOVEMBRE
21H / PANNONICA
FLASH-BACK, c’est un nouvel élément de nos actualités ! Des retours de concerts par quelques plumes bénévoles plongées le temps d’une soirée dans notre programmation pour en transmettre leurs impressions, regards ou ressentis. C’est une manière aussi de vivre autrement notre activité et de faire perdurer les souvenirs laissés par les artistes.
SAMIR AOUAD :
EMBARQUÉE PAR LE OUD
Soirée teintée de jazz et de mélodies orientales avec Samir Aouad, accompagné du contrebassiste Rémi Allain et du saxophoniste Olivier Besson, le même soir que le duo Kamilya Jubran / Sarah Murcia, la contrebassiste associée au Pannonica.
Comme Kamilya, Samir joue de l’oud. Un très bel instrument, je trouve. À la fois visuellement (j’aime son bois, orné de magnifiques rosaces en marqueterie) et musicalement : ses cordes pincées lui confèrent cette musicalité caractéristique des sons colorés des pourtours de la Méditerranée. Le chant fort et puissant de Samir m’a immergée dans un ailleurs. Il m’a embarquée au cœur d’un récit mauresque, suave, doux, parfois grave et nostalgique, parfois festif et plein de gaieté.
J’ai fermé les yeux, j’ai vu un bord de mer : l’eau étincelante, les paysages du sud, leur douce chaleur, le parfum des épices et des jardins de jasmins, de bougainvilliers, de fleurs d’oranger. Puis, un paquebot, dont la sirène annonce le départ de ceux que nous aimons et les cris de joie de ceux qui sont heureux de partir.
Un paquebot qui m’a menée dans un de ces bars andalous où le flamenco décrit si bien les sentiments et l’intensité de nos émotions. La richesse de nos racines, la beauté de l’amour, la passion, la douleur de la mort, la tristesse. Et puis, l’espoir et la joie qui renaissent, les peines qui petit à petit s’effacent, laissant place au bonheur de vivre.
Kako
SARAH MURIA ET KAMILYA JUBRAN :
D’ACCORD POUR SE PERDRE
Ce soir-là, je m’enfonce en douceur dans une salle pleine à craquer, pour un double concert : Samir Aouad en trio puis Sarah Murcia, grande contrebassiste touche-à-tout et la chanteuse et oudiste palestinienne Kamilya Joubran. Je me dis que ce duo franco-palestinien répondra peut-être à la question que se pose la néophyte musicale que je suis : comment accorde-t-on le langage de la musique orientale à celui de la musique occidentale ?
Chacune profite en alternance d’un jeu solo. Côté jardin, Sarah Murcia enlace son instrument, tellement concentrée qu’elle semble plonger vers les cordes, toute dans l’écoute. La sienne et celle de sa partenaire. Ses cheveux cachent la moitié de son visage : l’œil se focalise alors plutôt sur ses mains qui dansent sur les cordes. À la fois improvisatrice hors-pair et accompagnatrice attentive, Sarah se pose pour écouter la voix de Kamilya. Assise de trois quarts, son oud sur les genoux, celle-ci est bien plus exposée. Les traits de son visage s’étirent comme pour laisser sa voix prendre tout l’espace qu’elle désire. Cela rajoute beaucoup à l’intensité de ses chants arabes. Elle regarde aussi joyeusement Sarah Murcia : aucun désaccord dans ce double jeu de cordes.
La langue arabe se révèle. Il y a quelque chose de fort et de pesant dans l’air. La profondeur des textes poétiques sans doute. Ou peut-être les variations de rythme, très fréquentes, qui peuvent nous perdre. La priorité, en tout cas, semble être donnée à la poésie des textes, ceux de Kamilya Jubran et ceux d’autres auteur·es de la même langue. Mais la musique est bel et bien partie constituante de cette poésie. Un dialogue direct entre les instruments s’instaure et la figure de leur interprète s’estompe. Le oud, avec sa légèreté aigüe et la basse avec sa force bien plus ancrée au sol. Le dernier donne de l’élan à l’autre, envoyant l’ensemble dans les airs, vers des hauteurs que nous, auditeurs, n’atteindrons pas. Les musiciennes redescendent en ralentissant le tempo, en baissant de quelques octaves. La voix de Kamilya Jubran, se fait réentendre, surgissant alors d’un ailleurs, un ailleurs poétique, qu’on laisse s’entre-ouvrir et se refermer. Dans la salle remplie de ces silences qui veulent dire « on vous écoute », nous sommes invités vers d’autres horizons. Un voyage qui emprunte un itinéraire qu’on n’aurait jamais osé prendre de soi-même.
La fusion entre le jeu de Kamilya Jubran et celui de Sarah Murcia n’a rien d’immédiat. Elle est travaillée au fil du concert, elle se fabrique et se construit à nos oreilles. Elles s’écoutent, elles se connaissent, elles se laissent chacune l’espace d’affirmer sa musique, son regard. Le résultat : un concert live unique, porté par deux fortes personnalités allant dans la même direction, elles nous surprennent, nous décontenancent, nous questionnent et par conséquent, nous embarquent.
Éléonore