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INTERVIEW
FLORIAN CHAIGNE ET CYRIL TROCHU : « INVITER LE PUBLIC À ÉCOUTER DIFFÉREMMENT »

Jeudi 4 mai,  le duo formé par Cyril Trochu, (piano) et Florian Chaigne, (batterie augmentée) joue Oculus aux Ateliers de Bitche, un concert à vivre dans le noir.
Présenté au Pannonica à l’occasion d’un Work in Promesse en avril 2022, le groupe a poursuivi sa quête d’une musique immersive. De leur performance commune découle une grande réflexion sur le rapport à la musique, à nos sens et plus précisément à la vue. Au sujet de ce concert, qui ne peut ni se filmer, ni être photographié, les compositeurs et interprètes sont forcément ceux qui en parlent le mieux.

Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquez en quelques mots le déroulé du concert, dans la perspective du spectateur et de la spectatrice ?
Cyril Trochu : Les spectateurs sont invités à s’installer dans la pénombre. Afin qu’ils puissent se sentir rassurés et en sécurité, une voix off leur explique le déroulé de la prestation qui dure une quarantaine de minutes. Puis les lumières s’éteignent : le voyage peut commencer ! Il nous semble vraiment important de mettre le public à l’aise, d’autant que celui-ci se retrouve dans une situation assez inhabituelle…

Qu’est-ce qui a motivé ce projet de concert dans le noir ? 
Ensemble :
Le sens de la vue étant prédominant dans notre société, nous voulons inviter le public à écouter différemment. Habituellement, lors d’un spectacle, la vue peut prendre le dessus sur notre attention, de par la présence des décors, les jeux de lumières, les chorégraphies, les vidéos, etc. Pour notre spectacle, le point de départ est d’écouter avec ses oreilles, puis on peut se rendre compte que le son est une vibration de l’air et pourquoi pas sentir cette dernière affleurer sur notre épiderme…

Puisque tu es toi-même non voyant Cyril, quelle place ton handicap a-t-il pris dans la réalisation d’Oculus ?
Cyril Trochu : Pour ma part, je ne modifie pas ma manière de jouer du piano dans le projet Oculus. Cependant, le public me semble plus attentif dans le noir (moins de gestes parasites, plus discret…), finalement plus à l’écoute !

Le public est donc plus attentif à votre musique, comment la qualifieriez-vous ?
Florian Chaigne : Au départ, nous voulions jouer des compositions personnelles de chacun d’entre nous dans une esthétique plutôt jazz contemporain. Puis notre partie pris artistique s’est affiné. Nous avons finalement décidé de ne jouer que des pièces improvisées. Ces improvisations respecteront cependant un fil rouge, la trame du spectacle lui-même.
Nous nous sommes accordés sur des « contraintes » afin de cadrer nos improvisations. Telle impro comme un long crescendo, telle impro avec l’utilisation d’un alliage de texture sonore comme leitmotiv, tel rythme comme point de départ d’une autre, etc.

Cyril Trochu

Florian Chaigne © David Gallard

Teaser d’Oculus

Et la technologie dans tout ça ? Une voix nous accompagne sur toute la durée de l’expérience, même avant et après votre jeu, pouvez-vous nous en dire plus ?
Cyril Trochu : Les assistances virtuelles prennent de plus en plus de place dans notre quotidien… En ce qui me concerne, et en ce qui nous concerne en tant que déficients visuels, la technologie depuis l’ère de l’informatique a été une véritable révolution, surtout dans le domaine de la culture : un accès à de plus en plus d’ouvrages écrits, articles de presse, sites internets, contenus audio-décrits cinématographiques, etc. Concernant notre spectacle, son ambassadrice est une voix de synthèse proposée par un smartphone.

Florian, tu t’es toi-même plongé dans le noir pour composer aux côtés de Cyril, qu’est-ce que cette expérience a entrainé dans ta pratique musicale et ton rapport à la batterie ?
Florian Chaigne : Lorsque l’on s’exerce avec des musiciens voyants, il nous arrive très souvent de se faire des signes visuels pour se repérer dans la musique (signifier la fin d’une improvisation, amener une transition, etc.). Avec Cyril, je ne perçois aucune autre information que la musique elle-même, toute mon attention est tournée vers elle. Ma concentration est décuplée, mais aussi ma mémoire (où sont mes baguettes ? mes mailloches ? etc.).

Cyril, d’un point de vue musical et créatif, envisages-tu ta cécité comme un atout ? 
Cyril Trochu : À l’exception de certains projets de musique contemporaine (où la musique est écrite), ma pratique en tant que musicien professionnel est essentiellement orale. J’ai travaillé depuis mes débuts à l’assimilation du répertoire musical à l’oreille, ce qui m’a permis une grande autonomie et sensibilité accrue.

Considérez-vous la contrainte comme un facteur de création alors ? Pensez-vous que pour être bon·ne musicien·ne il faut sortir de sa zone de confort ?
Ensemble :
Il nous semble évident qu’il faille intégrer la notion de contrainte dans la définition de ce que peut être la Liberté. La contrainte génère un cadre, ce cadre nous oblige à nous exprimer plus ou moins librement à l’intérieur. C’est ce qui est intéressant pour notre pratique ! La curiosité qui nous anime tous les deux nous oblige à sortir de notre zone de confort, et c’est grâce à ce constant processus de remise en question que nous pouvons créer et nous épanouir !

Cyril Trochu / Son disque de chevet
Sergent Pepper – The Beatles

Florian Chaigne / Son disque de chevet
 » Je n’ai pas de disque de chevet, mais mon disque du moment, ou plutôt une compilation : Ethiopiques 5: Tigrigna Music 1970-1975″