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INTERVIEW
GUILLAUME PERRET : “JE M’ÉCLATE À JOUER, AVEC N’IMPORTE QUI”

Le saxophoniste Guillaume Perret était programmé au Pannonica le jeudi 1er juin. Installé depuis peu à Saint-Nazaire mais aussi artiste associé du Collectif Régional de Diffusion du Jazz, depuis janvier dernier, l’occasion était idéale d’échanger avec lui sur sa nouvelle vie, sa carrière et ses projets. Entre les balances et le concert, on s’est donc retrouvés à Comme à la radio, disquaire partenaire du Pannonica.

Dans le rock, on parle de guitar hero. Te sens-tu comme un « sax hero » ?
Pas vraiment parce que je n’ai jamais été dans le culte du héros. Je ne suis pas fan absolu d’un saxophoniste et surtout, quand j’ai commencé à travailler avec les effets, j’ai arrêté de m’inspirer des saxophonistes, pour aller chercher du côté des flûtistes, des guitaristes, des percussionnistes, des chanteurs, voire des bruits d’animaux. Du coup, quand je fais un solo, je m’efforce de faire une mélodie la plus simple qui soit, dans laquelle j’essaie de mettre le plus d’expression possible. Je réfléchis plus en termes de composition, de construction esthétique, d’émotion. Du coup, on s’éloigne vraiment du concept de hero qui fait des étincelles. Même si j’ai de la lumière qui sort de mon sax !

Tu n’as pas une âme de fan, mais as-tu eu des saxophonistes modèles ?
Bien sûr, il y en a plein qui m’ont mis des frissons. S’il y avait un nom, est-ce que c’est parce qu’il y avait son poster dans ma chambre d’ado, ce serait Dexter Gordon, c’était mon gars.

Tu es un moderne, ton saxophone vient de Mars. Au début de ta carrière, est ce que tu avais une envie de dépoussiérer le jazz ?
Je l’ai toujours dit et je l’enseigne aussi comme ça : il doit y avoir une grosse part autodidacte dans la formation du musicien. Au conservatoire, on prend du matériel, on prend des éléments, on prend du vocabulaire, c’est super utile et c’est génial. On a la chance d’avoir cet enseignement, mais il y a toute une partie qui doit se faire dehors. Il faut aller jouer dans la rue avec les copains, dans les cafés… il faut aller jouer partout. Vraiment, il faut se confronter à différents publics, se prendre des claques et se construire à travers ces expériences, c’est vraiment important. Je connais plein de musiciens qui sont de bons instrumentistes, mais qui sont trop restés dans leur chambre et qui manquent un peu de personnalité.
Pour en revenir à la question de départ, quand je travaille à un album, je suis hyper focus sur le son que je cherche à obtenir et du coup, je m’enferme dans cet univers au point d’oublier tout ce qui se passe autour. Ce sont des moments où je vais écouter très peu de musique. Je vais aller à fond dans mon délire et l’explorer sans me soucier de la direction prise. Je passe par des phases où je suis super excité et d’autres de doute absolu. Finalement, j’arrive à quelque chose qui me satisfait. En agissant ainsi, peut-être que ça a un effet dépoussiérant, et tant mieux, mais je ne me positionne pas en dépoussiéreur.

Au tout début de ta carrière, tu étais dans un collectif Le Bocal.
Le Bocal, à l’origine, c’est un pianiste qui s’appelle Thierry Giraud, qui était mon prof d’atelier jazz au conservatoire d’Annecy. Quand j’avais quinze, seize ans, je jouais avec lui en quartet dans les ateliers en tant qu’élève. Il a monté Le Bocal, un big band avec quelques profs du conservatoire et des gens extérieurs. A dix-huit ans, je suis vraiment rentré dans ce groupe en tant que saxophoniste et très rapidement j’ai commencé à faire des arrangements. On était quatre ou cinq à prendre un peu la direction. Du coup, c’est devenu un collectif. Je me suis mis à composer et j’ai commencé mes premières expériences de production. Au lieu d’enregistrer tout en live d’une traite, j’enregistrais partie par partie, beaucoup de matière en improvisation dirigée, en soundpainting* avec les sections. Ensuite, je découpais cette matière et la retravaillais en postproduction sur mon ordinateur. C’était le début de mon travail tel que je le conçois aujourd’hui. Sur le premier album d’Electric Epic, après l’enregistrement, j’ai fait neuf mois chez moi de découpage et de réarrangements.

Après la phase  « jazz metal » avec le groupe Electric Epic ;  la phase « je fais tout, tout seul avec mon sax » (le disque Free)  et la phase « espace »  ( la musique pour le documentaire de Thomas Pesquet 16 levers de soleil et l’album qui a suivi A certain trip), est-on dans une quatrième phase, avec cette tournée et le batteur Tao Ehrlich ? Et est-ce qu’il y a un nouveau disque en préparation ?
Absolument. On vient d’enregistrer le projet Simplify. On va sortir deux morceaux à l’automne et l’album va sortir en février 2024. On est actuellement en pleine post-production. J’ai beaucoup évolué dans le milieu des festivals de jazz, théâtres nationaux, publics d’abonnés que je voyais se renouveler un peu difficilement. Les 40/60 ans, maintenant ils ont 50/70. Alors bien sûr, je tourne toujours avec le ciné-concert (16 levers de soleil) qui s’adresse à un public très large:  les enfants, les ados, les personnes âgées,  tout le monde kiffe. C’est cool, mais ce dernier projet, je veux vraiment ne faire que du debout, du festif et mettre un pied dans la scène électro. Me retrouver entre deux DJs et ne pas être ridicule. Apporter du live avec la batterie et le saxophone pour que les gens se disent qu’on peut jouer sur de l’électro. Je veux vraiment que ce soit des grooves qui parlent à tout le monde, sans tomber dans le commercial, qu’on puisse écouter chez soi entre amis. C’est important que chaque album explore un environnement différent. Je pense déjà à mon projet d’après, j’aimerais beaucoup travailler sur un truc complètement acoustique.

Plus de fils sur le saxophone alors… Je t’ai écouté sur le disque d’un pianiste italien, Giovanni Mirabassi, où ton sax ténor est nu.
Pendant le confinement, on s’est rapproché avec Giovanni. On a commencé à faire des vidéos ensemble, puis il m’a proposé de participer à l’album. Depuis 2012, je ne fais que mes projets, ou alors quand je participe à des projets, ce n’est vraiment qu’en tant que guest. Sur The swan & the storm, j’ai joué sur tout l’album. J’ai toujours grand plaisir à jouer acoustique, sans les effets.

J’ai vu une vidéo sur YouTube qui s’intitule Out of Time. Tu es filmé par au-dessus. On voit ainsi comment tu travailles, comment tu gères tes machines et tes pédales. C’est très pédagogique…
C’est un morceau qui sera dans l’album, que j’avais écrit quand Tigran Hamsayan avait demandé à pas mal de ses amis musiciens de participer à un grand concert en streaming, pour lever des fonds pour une région d’Arménie envahie par l’Azerbaïdjan. Il fallait tourner une vidéo. Du coup, j’ai scotché mon téléphone au plafond et j’ai joué ce morceau qui était tout frais. Je l’ai réarrangé depuis. On le jouera ce soir et il sera sur l’album. Je pense même que c’est le premier titre que je vais sortir en septembre.

Je me suis rendu compte en allant sur Discogs que tu as eu un nombre de collaborations impressionnant. Comment se font ces rencontres ?
Je viens d’Annecy et quand j’avais la vingtaine, j’ai commencé à mettre les pieds en Suisse et j’ai joué dans plein de groupes. J’étais sideman. Il y a une scène jazz de fou, qui est peu connue en France. Pendant les sept années que j’ai passées en Suisse, j’ai joué dans le monde entier : en Amérique du Sud, en Thaïlande, en Chine, en Afrique, dans toute l’Allemagne, la Pologne, les pays de l’Est… Mais on ne jouait jamais en France. Quand j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour de cette manière fonctionner,  j’ai eu besoin de monter mon premier projet en leader et je suis allé à Paris pour explorer un peu le réseau français. J’avais déjà les compositions, il me manquait l’infrastructure et le groupe.

Alors, tu l’as dit, tu es un montagnard, mais désormais, tu as une nouvelle vie, en Loire-Atlantique, à Saint Nazaire : le bord de mer, le VIP, les Escales, quelle est ton impression ?
Je suis absolument fan de Saint-Nazaire, des habitants, de l’accueil que j’ai reçu. En fait, je me suis rapproché de ma famille et après douze ans en Île de France, j’avais besoin de nature. Je n’avais jamais vécu l’expérience de la vie au bord de l’océan. Quand je suis arrivé, j’ai eu de la presse, j’ai été accueilli aux trente ans des Escales par Jérôme Gaboriau (le programmateur). Et puis j’ai bossé avec le VIP, avec une école de Saint-Brévin-les-Pins, avec le lycée Aristide-Briand. Voilà, ça se met en place, c’est la belle vie !

Tu as donné des cours en sortant du conservatoire, tu continues à en donner. Tu as la fibre de l’enseignement ?
Oui. Ado, j’ai passé mon BAFA. J’avais un truc avec la transmission, je pensais que j’allais bosser avec les jeunes. Très rapidement après le conservatoire, j’ai enseigné parce que j’ai trouvé une école de musique qui cherchait un professeur de saxophone. Je n’avais aucune expérience, mais j’ai passé le diplôme d’État en candidat libre et je l’ai eu. Je me suis dit qu’il y avait peut-être un truc à faire. Et pendant quinze ans, j’avais mon lundi qui était réservé aux cours. Je n’ai jamais aimé aller à l’école, je n’étais pas très scolaire, mais j’aime enseigner. Maintenant, je fais des workshops. La semaine dernière, j’en ai fait un au Pannonica. J’avais un groupe hétérogène. En trois heures, on a monté une composition et on l’a jouée. Je donne des clés aux participants sur la façon de composer, de se comporter sur scène. J’aime bien les workshops, c’est une manière dynamique d’enseigner. Ils repartent avec plein d’envie.

Ici, à Comme à la radio, on est entouré de vinyle. Toi, la musique, tu l’écoutes sous quelle forme ?
Je ne suis pas vraiment un audiophile. Je n’ai même plus de platine CD chez moi. J’ai une collection de CD que je n’écoute plus. Je vais sur Spotify, c’est plus simple. Souvent, je mets des musiques que j’aime et très rapidement l’algorithme fait son travail et j’écoute des heures de musique, mais je ne sais absolument pas qui joue.

Si tu devais figurer dans le livre de Pannonica de Koenigswarter Les musiciens de jazz et leurs trois vœux, quels seraient les tiens ?
Mon vœu, ce serait de continuer à avoir toujours cette fraîcheur un peu juvénile, de s’exciter à jouer de la musique comme ça, simplement, avec n’importe qui. Je m’éclate à jouer avec les élèves, avec un mec dans la rue, avec des supers musiciens, ce truc de la magie de la musique et des rencontres permanentes.

Propos recueillis par Jean Do

Crédit photographique : Olivier Voyer