Kham Meslien Trio va donner au Pannonica un concert à guichets fermés. Sans support musical pour le moment, cet entretien via écrans interposés était l’occasion de demander à son leader contrebassiste à quelle sauce le public va être mangé le 19 février prochain.
Tu viens sur la scène du Pannonica avec un nouveau projet, Kham Meslien Trio…
Ce projet est né de la volonté de renouer avec la petite formation. Je suis proche du batteur Franck Vaillant ; on a joué ensemble quelques temps dans le groupe Lo’Jo (*1). Je lui parlais de mes affinités pour les sonorités du trombone et il m’a proposé de faire un essai avec Daniel Zimmermann qu’il connaissait. On a fait des petites sessions chez Franck et il s’est avéré que ça m’a beaucoup plu: le mélange des timbres et des sonorités, mais aussi des personnalités musicales. J’ai composé quatorze morceaux. Il y a une filiation avec le solo de mon projet précédent, des mélodies assez simples et des espaces de sonorités assez épurées, mais il y a aussi une une forme de remise en question puisque je me retrouve avec deux super musiciens. C’est une nouvelle période, même si en parallèle je travaille sur un deuxième solo.
Va-t-on seulement entendre cette musique en tournée ?
L’objectif serait de pouvoir faire une belle quinzaine de concerts et après, d’enregistrer. Je suis toujours partisan d’éprouver les morceaux sur scène avant d’aller en studio. Je trouve que, sur le vif, il y a des évidences qui apparaissent au niveau de la structure des morceaux. De ce point de vue, rien ne remplace l’interaction avec le public.
Le concert affiche complet. Ton nom commence à avoir un certain écho.
Oui, je suis à un tournant de ma carrière. J’ai souvent été au sein de formations et de groupes différents, mais maintenant, cela fait trois ans que je tourne sous mon nom. Et puis n’oublions pas que Daniel Zimmermann et Franck Vaillant ont aussi leur public sur Nantes, qui viendra découvrir ce nouveau trio.
Pour Fantômes… futurs sorti en 2022, tu étais seul sur scène. Pour les nouvelles compositions, tu es accompagné.
Oui, effectivement, c’est un réel plaisir de jouer en groupe et ça l’a toujours été pour moi. J’ai toujours joué en groupe et je ne me suis d’ailleurs pas arrêté pendant cette période. J’avais d’autres projets, des créations éphémères. Le processus de jeu collectif, c’est l’essence même de la musique pour moi. Le solo, ça n’a jamais été une volonté, c’est parti d’une commande. Sur un festival de poésie dans le Finistère où j’accompagnais une amie autrice, l’organisateur m’a dit : « J’ai réservé un créneau pour ton solo de contrebasse. » Or, je n’avais jamais fait de solo de contrebasse. Mais la promotion était lancée et il m’a vraiment poussé pour que je présente une petite demi-heure de solo. Tout est parti de là.
Est-ce que c’est à partir de ce moment-là que tu es devenu un contrebassiste de jazz ?
Je travaillais déjà le jazz, j’avais déjà des affinités avec cette musique, mais c’est effectivement à partir de ce moment-là que j’ai pu être assimilé à un musicien de jazz.
Le fait de partir sur le solo et d’affronter le public seul en scène, ça a été facile ?
C’est vraiment un exercice très difficile. Je ne te cache pas qu’à un moment, je me suis dit que je n’étais pas fait pour ça. J’ai eu des grands moments de doute. Et puis ce solo ne vise pas la virtuosité, mais plutôt la recherche de l’émotion. J’ai joué ce lundi à la Maroquinerie à Paris, en première partie de Laurent Bardainne. C’était complet. Juste avant de jouer, le trac était bien présent, mais il y a eu une super écoute, une super attention. C’est ce que j’ai envie de reproduire avec le trio. Il y a des moments très intenses, très rock, et d’autres plus intimistes, très évanescents. Et comme nous serons en résidence pendant trois jours au Pannonica en prélude au concert, on va améliorer ces compositions et la vision de ce trio.
Est-ce que tu as la volonté d’être reconnu comme un compositeur ?
J’ai eu la chance d’être accompagné par Trempo (*2) pendant une année pour mon projet de solo. Il y a des choses que j’ai découvertes au fur et à mesure de son élaboration. Et effectivement, je me suis découvert compositeur. Je me suis découvert improvisateur aussi. Ça a été une révélation. Ce sont les rencontres avec des musiciens et des organismes d’aide à l’émancipation musicale qui m’ont permis de prendre conscience de tout cela.
Cet album tardif en tant que Kham Meslien a été très bien reçu dans les médias spécialisés.
Oui, ça m’a encouragé. Beaucoup de musiciens réalisent des œuvres exceptionnelles, travaillent énormément, mais quelquefois, ce qui peut manquer, c’est juste l’alignement des planètes. Là, au moment où le disque était prêt, j’ai eu la chance de trouver un label en cinq mails, de trouver rapidement un tourneur très motivé, de trouver un attaché de presse qui connaissait le tourneur et le label, ce qui fait que tout le monde a travaillé en synergie de manière intensive autour du projet. Le disque est tombé au bon moment.
Tes influences ?
C’est toujours délicat de dire que je suis influencé par tel ou tel musicien. On va dire, plutôt que j’ai beaucoup écouté certains musiciens. Dave Holland, par exemple. Ça ne s’entend peut-être pas, mais je l’ai beaucoup écouté. Larry Grenadier également, qui a fait un superbe album solo, The Gleaners. Et je suis fan du contrebassiste français d’origine arménienne Claude Tchamitchian. C’est un maître. On s’est rencontré plusieurs fois. C’est quelqu’un qui m’accompagne. Cette année justement, je suis allé le voir pour des conseils.
Et pour la composition ?
C’est plus une démarche personnelle, une envie d’exprimer des ressentis, de faire écho, résonance avec mon instrument.
Mon prochain solo va faire référence à une événement qui m’est arrivé lorsque j’étais enfant. Un jour, sur une plage, j’ai rencontré une grand-mère très impressionnante, avec qui j’ai discuté. Mon père, qui était au loin, m’a interpellé pour me demander de cesser de parler avec elle. Lorsque je me suis retourné, elle avait disparu. Je n’ai jamais su qui elle était, si elle faisait partie de ce monde mystérieux des légendes liées aux Antilles.
Je fais une recherche autour des mythes marins liés aux Caraïbes, recherche que j’ai étendue au Brésil et à l’Islande, pays dans lesquels je suis allé jouer. L’Islande, qui est plongée dans l’obscurité 4 à 5 mois de l’année, est propice également à l’apparition de fantômes… Je collecte des choses et ça commence à mûrir pour le second solo.
Le projet solo, tu l’as emmené également en Australie ?
Oui, j’ai eu beaucoup de chance, J’ai toujours été programmé dans des conditions assez idéales, voire idylliques. Le solo, les premières fois que je l’ai joué, c’était dans le Finistère. Suite à ça, des amis qui font partie de la compagnie Carabosse – ils travaillent la flamme et font des installations, de la grande scénographie – ont proposé de m’emmener en Australie pour jouer dans un grand parc à Melbourne. 10 000 entrées: c’était monstrueux! Je devais jouer trois heures sous un grand arbre majestueux, un cèdre. J’ai dû improviser, aller chercher des choses, creuser cette histoire. Une sacrée expérience. Oui, on peut dire que j’ai eu une bonne étoile.
Ton parcours peut paraître atypique…
Dans le milieu du jazz, peut-être. J’arrive très tard dans ce milieu et je rentre en plus par la porte du solo, ce qui est aussi plutôt rare. Je n’ai pas non plus le parcours d’un musicien d’exception qui a fait le conservatoire et qui a une technicité énorme. Je ne me considère pas comme un contrebassiste virtuose. Je n’ai pas du tout cette prétention. Quelque part, c’est rassurant de savoir qu’il n’y a pas que ça qui compte, mais je me suis retrouvé parfois dans des situations intimidantes, à jouer un solo devant des grands noms du jazz. C’est vrai que j’ai un parcours atypique.
Tu es Angevin. Est-ce que tu veux t’exprimer sur la baisse du budget de la culture dans notre région ?
Le nerf de la guerre, c’est toujours l’argent, et s’attaquer à la culture, à l’éducation, au milieu associatif… Tous ces gamins, toutes ces gamines qui vont se retrouver dans des situations pas possibles parce qu’il n’y aura plus de planning familial. C’est tirer une balle dans le pied des générations à venir. Je suis adhérent à Anticor. C’est une grosse association qui milite pour la probité, pour lutter contre la corruption. Si on consacrait davantage d’énergie à lutter contre l’exil, l’optimisation, la fraude fiscale et la corruption, je crois qu’on récupérerait beaucoup d’argent. Et puis ce qui m’a choqué, c’est qu’on a induit que les aides culturelles étaient utilisées dans des cercles mafieux, par des profiteurs pour des projets abscons ou confidentiels. Pour le coup, c’est de la malhonnêteté intellectuelle.
Pannonica oblige, si tu devais figurer dans le livre de la baronne de Königswarter, Les jazzmen et leurs trois vœux, quels seraient-ils ?
Le premier, ce serait de pouvoir continuer à jouer de la musique le plus longtemps possible et ne pas avoir l’impression de me répéter, de continuer à être inventif et de me surprendre.
Le deuxième, ce serait qu’il y ait plus de concerts de proximité et moins d’écrans allumés. Il y a plein de jeunes qui s’en émancipent, mais il y en a aussi plein qui subissent ces réseaux sociaux qui exacerbent la notion d’immédiateté. Il est nécessaire de transmettre que, pour arriver à quelque chose de satisfaisant ou d’un peu satisfaisant, il faut faire et refaire. Qu’on n’obtient rien d’un claquement de doigts.
Et le troisième vœu, ce serait qu’on ait enfin un gouvernement – quel qu’il soit – qui mette un accent prioritaire sur l’éducation. L’éducation, c’est un viatique pour comprendre l’écologie, les dangers du réchauffement climatique, et qui permet l’émancipation, le sens critique… bref, le libre arbitre.
• Propos recueillis par Jean Do