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Le blues des diasporas de Lagon Nwar : Liberté Connaître Oblige 

Le projet Lagon Nwar (Ann O’Aro Chant et claviers, Marcel Balboné Percussion et chant, Valentin Ceccaldi basse et Quentin Biardeau sax et claviers) s’est produit à guichet fermé au Pannonica le mercredi 12 Février 2025. Retour sur cette prestation qui a fait forte impression.

Alors que son chant commence à s’élever, ce qui frappe en premier c’est le regard magnétique de Ann O’aro. Un trait de maquillage sépare en deux son visage, elle semble contenir en elle tous les débordements de sa terre natale : les larmes du cyclone qui gonfle les rivières et la rage du volcan qui bouillonne quand la lave rejoint la mer. Lors de son précédent passage en mars 2023 elle s’inscrivait dans la tradition du Maloya (*), le blues gueulé de Réunion selon la formule de Danyèl Waro, un chant d’esclave de révolte et de douleur par lequel elle tentait d’exorciser les blessures de l’inceste.

Avec le projet Lagon Nwar, même si sa forte présence scénique accapare toujours l’attention du spectateur, son nom a laissé la place à celui du collectif avec qui elle partage le plateau. Passée par la France et le Québec, elle semble avoir utilisé les étapes de son voyage pour sublimer sa colère qui sans rien perdre de sa force est devenue plus universelle. Si des motifs du Maloya sont toujours présents au travers du jeu de basse très sec de Valentin Caccaldi qui évoque les staccatos d’un Piker devenu mélodique et du tom basse frappé à la main du batteur burkinabé Marcel Balbone en guise de Rouleur, la musique s’ouvre à des sonorités plus universelles avec le saxophone très expressif de Quentin Biardeau et l’usage discret du synthétiseur.

La présence vocale et corporelle d’Ann O’aro ne doit en aucun cas masquer le travail et la variété d’écritures des textes. L’utilisation du créole réunionnais et le Joual québécois, outre leurs caractéristiques mélodiques, permettent de voiler les textes pour en souligner uniquement les contours comme le ferait un théâtre d’ombres. On saisit quelques expressions, quelques mots et l’émotion du chant complète le tableau. Les quelques textes en français sont hachés, découpés, et privés de tout artifice qui pourraient en diminuer la force c’est un assemblage percussif de sons et de mots, une poésie brute et violente qui emporte tout sur son passage. Partageant le chant sur certains titres, Marcel Balbone introduit dans ce spectacle à la tonalité assez sombre les effluves plus festives des musiques de l’Afrique de l’Ouest. L’ensemble pourrait évoquer le blues universel des diasporas d’Afrique Francophone dispersées de Paris à Montréal.

Au-delà de la musique Lagon Nwar est un spectacle qui fera date, une expérience unique à la fois violente et travaillée à laquelle il est impossible de rester insensible. Ceux qui auraient raté cette prestation pourront se consoler avec l’album du quatuor qui sera disponible le 28 mars sur les plateformes d’écoute et le 4 avril en physique sur le label Airfono.

• Nicolas Le Grizzly

(*) Note : Le maloya est une musique essentiellement chantée et percussive issue de la tradition des esclaves de l’île de la Réunion. Le roulèr gros tambour frappé du plat de la main assure la basse tandis que le kayamb, sorte de grand hochet plat et le pikèr tronc de bambou à l’horizontale frappé avec des baguettes complètent la rythmique.
Pour les amateurs du Maloya et de ses dérivées, la trop rare Christine Salem se produira à Stereolux le 15 mars à 20h30 dans le cadre du festival Eurofonik.

PHOTOS © CHRISTO BEE