La Soufflerie a vu les choses en grand le mardi 12 novembre à Rezé en préambule de la rentrée 2024 de Grands Formats, la fédération de 122 grands ensembles et collectifs d’artistes (plus de 1300 musicien·nes) rassemblé·es pour défendre la musique en grand et permettre aux publics de vivre une expérience musicale hors norme.
Retour sur le premier concert proposé à cette occasion avec le flux abstrait et vibrant du Paul Jarret Acoustic Large Ensemble, suivi d’une jam session jeune et de haut niveau. Il y avait du beau monde sur scène pour présenter l’Acoustic Large Ensemble : Olivier Langlois et Frédéric Roy, respectivement directeurs de La Soufflerie et du Pannonica, ainsi qu’Erwan Verney, délégué général de Grands Formats. C’est la première soirée d’un mini festival – le Moger Orchestra suivra le lendemain sur la même scène et l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp le surlendemain à la Barakason. La salle est copieusement remplie et bon nombre de jeunes spectateurs sont munis d’un étui. À n’en pas douter, des musicien.nes, très certainement du conservatoire : Paul Jarret y a animé une masterclass dans la matinée.
Place au concert.
14 instrumentistes s’invitent sur la scène, éclairée tout en sobriété : une guirlande court sur le sol et un éclairage bleu et orange (couleurs complémentaires) immuable. On ne nous a pas menti : l’ensemble est large et acoustique. Deux tubas, un saxophone ténor, un trombone à pistons, une clarinette basse, voilà pour les souffleurs, et deux contrebasses, un violoncelle, un nyckelharpa(*), un violon, un alto et une guitare pour les cordes et un harmonium. Pas de piano ? Hé non, Paul Jarret n’est pas pianiste comme son illustre homonyme, mais guitariste.
Le récital démarre en douceur avec le violon, puis l’alto et ensuite la trompette, le ténor, le violoncelle et le nyckelharpa, tous entrent dans la danse jusqu’aux tubas, les derniers. Une longue progression, qui gagne en puissance au fur et à mesure que les instruments s’agglomèrent ; la redescente sera collective. Ce premier morceau permet une immersion dans l’univers de cette troupe singulière.
Définir la musique entendue ce mardi 12 novembre n’est pas des plus simple. Néo-classique ? Musique répétitive ? Certainement pas musique improvisée: les concertistes suivent tous scrupuleusement leur partition. Il y a un travail sur les variations d’intensité, sur les timbres. Tantôt un bourdon s’installe, initié par les souffleurs, sur lequel viennent broder les autres instruments; tantôt un accord de guitare vient briser le souffle d’une mélodie que l’on croyait installée. C’est un voyage sonore qui est proposé, le fauteuil de L’Auditorium devenant un matelas confortable dans lequel s’enfoncer afin d’apprécier les images véhiculées par ce flux abstrait et vibrant. Cette musique a un effet apaisant, réconfortant. Elle concourt dans cet écrin noir qu’est L’Auditorium à abstraire les auditeur·rices de leur quotidien furibard.
Avant de jouer le dernier morceau, Paul Jarret présentera ses musicien·nes et fera part du plaisir qu’il éprouve à jouer avec ces derniers. Le plaisir fut partagé mon cher Paul, vous pouvez en être certain.
Jam Session : le gratin !
Quelques centaines de mètres seulement séparent les deux salles rezéennes. Il est à parier que les jeunes pousses qui sont venues assister au concert du Paul Jarret Acoustic Large Ensemble accompagnées de leur étui vont les franchir.
La jam session se déroule dans le bar de la Barakason. Elle s’ouvre avec Grégoire Letouvet au clavier, Raphaël Herlem au saxophone baryton, Alexandre Perrot à la contrebasse (sur la scène avec le PJALE quelques minutes plus tôt) et un certain Boris à la batterie. Il s’agit de lancer la soirée et de chauffer la salle. Le quartet va enchaîner les compositions de chacun de ses membres et reprendre un standard que votre serviteur n’a su identifier. L’ambiance est bon enfant et le quartet propose un jazz urbain, empreint de groove. La salle se remplit au gré des arrivées. Comme imaginé, les instruments sortent des étuis et la mise en jambe terminée, divers combos de circonstance vont se succéder sur scène.
Si certains amateurs avaient projeté de se mêler au bœuf, ils se ravisent : c’est le gratin du conservatoire qui s’époumone sur scène, voire de la classe CHAM du lycée Nelson Mandela – on reconnaît la jeune flûtiste Louise Chavanon – ou encore les musiciens de l’Acoustic Large Ensemble. Ça joue, quoi ! La musique offerte est rafraîchissante et de qualité. Un bain de jouvence envahit l’espace. Les Grands Formats se donnent aussi pour but de promouvoir les jeunes talents : mission réussie !
• Jean Do
GRANDS FORMATS :
TOUTE PUISSANCE COMMUNICATIVE
Public debout, scène haute et jeu de lumière : ambiance rock à la Barakason pour la troisième soirée de la programmation « Grands Formats », après Paul Jarret et Moger Orchestra à l’auditorium de la Soufflerie, c’est l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp (OTPMD pour les intimes) qui clôt cette série de concerts.
Une première partie de trois-quarts d’heure est assurée par la Nantaise Miët et son batteur assisté d’un loopeur. La basse et le synthétiseur tordus par les pédales d’effets tournent en boucle tandis que la chanteuse explose, tour à tour furieuse et déchirée. Le travail de la lumière renforce le côté sombre et tourmenté de l’ensemble. Le public un peu surpris adhère peu à peu à la proposition, tiraillé entre émotion brute et recueillement.
Après un changement de plateau assez complexe, la scène surchargée d’instruments accueille les 12 musicien·nes de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Le collectif à géométrie variable est en perpétuelle réinvention: autour d’un noyau dur de quelques musicien·nes, le son et l’effectif évolue au fil des projets et des disponibilités. Les violons et les flûtes des moutures de 2018 et 2022 vues au regretté festival Soleils Bleus et à Stereolux ont disparu. La mutation 2024, plus brute que les précédentes, semble puiser dans l’énergie du punk et de la transe.
Si le concert est entamé de manière dépouillée, presque solennelle par le trio de cordes -alto, contrebasse, violoncelle- c’est pour mieux préparer l’éruption des sept instrumentistes qui composent l’énorme rythmique du volcan Genevois. Deux batteries, deux marimbas, timbales, contrebasses et percussions diverses, l’OTPMD est un rouleau compresseur : un torrent de groove déferle sur la foule impatiente qui commence immédiatement à onduler. La chanteuse et performeuse d’origine lettone Mara Krastina rejoint le groupe pour scander quelques textes dans une langue inconnue du public. Qu’importe la langue : la voix est traitée comme de la matière sonore, comme si la tellurique Kobaïa (légendaire planète inventée par le groupe Magma) s’était fracassée dans le lac Léman. Les sourires et regards complices des musiciens ne trompent pas, l’OTPMD est un collectif vivant né pour la scène. Le plaisir des musiciens est communicatif et la musique appelle à la danse, le public conquis en redemande.
Malgré les incertitudes qui planent sur l’avenir des grandes formations, la Rentrée Grands Formats se termine sur une note festive, par un long rappel et un morceau inédit. Si la musique de l’OTPMD figée dans la discographie peut parfois laisser l’auditeur perplexe, sa réelle toute-puissance ne peut s’exprimer que dans la communion du collectif avec l’énergie du public.
• Nicolas Le Grizzly