Mercredi 23 novembre, 18h, j’ai rendez-vous avec le violoncelliste Gaspar Claus dans les loges du Pannonica. En résidence pendant trois jours avant la représentation de ce soir il est là pour Les Cahiers de Nijinski, œuvre qui entremêle théâtre et musique, avec Denis Lavant, l’acteur fétiche de Léos Carax et le saxophoniste Matthieu Prual, à l’initiative du projet.
C’est la deuxième fois au Pannonica cette année pour Gaspar. En mai, il était venu présenter en duo son album Tancade dans les jardins de la Psalette à côté de la cathédrale. Un moment de félicité. “C’était un concert test pour moi. Je n’étais pas sûr que cela fonctionne en plein air. J’ai un très beau souvenir, d’une écoute toute particulière de la part du public, dans un endroit très ouvert. J’ai terminé seul avec un morceau de Jean-Sébastien Bach en acoustique et je ne me suis pas senti fragilisé par la proposition, il y avait une connexion.”
On est tous les deux attablés au bar, vide à cette heure-ci. Gaspar m’a proposé d’emblée le tutoiement. L’entretien durera presque une heure. Il y sera question entre autres de son itinéraire, de ses nombreuses collaborations et de son label Les disques du festival permanent.
Gaspar Claus est le fils d’un père guitariste de flamenco, Pedro Soler, et d’une mère allemande à qui il a emprunté le patronyme pour la scène. Gaspar Claus, c’est d’abord un petit garçon de 5 ans qui après un concert dans une église de Port-Vendres prend sa guitare verticalement et décide que désormais, il sera violoncelliste. « J’ai eu un coup de foudre. » Avec le violoncelle, c’est le début d’une relation interrompue seulement entre ses 16 et 22 ans, suite à son départ de Perpignan et sa montée vers Paris. « J’ai alors arrêté le conservatoire et comme je n’étais plus à rabâcher mes gammes et mes cahiers d’étude, j’ai pu écouter beaucoup de musique. Et j’avais du travail à rattraper ! À la maison, mes parents écoutaient de la musique baroque. J’ai allumé Skyrock pour la première fois à quatorze ans, j’avais l’impression de commettre un blasphème ! Je me suis ouvert à la pop et aux musiques populaires ».
Sous l’influence de figures tutélaires telles John Zorn, Steven Stapleton, Franck Zappa ou encore Brian Eno, des musiciens prolifiques, pour qui la musique est « une énergie, un véhicule qui permet de s’aventurer et de multiplier les voyages différents », Gaspar va enchaîner les collaborations et les projets. « J’ai profité de cette chance que j’avais d’avoir appris les bases du violoncelle et de m’en être libéré, désaliéné, pour aller chercher comment le jouer autrement. C’est devenu un super outil à rapports humains. »
Quinze ans de pérégrinations et de rencontres le ramèneront à Banyuls, son village natal, et plus précisément sur la plage de Tancade, qui donne son nom à son premier album solo. Les clips ont été réalisés sur cette plage. Ce sont ses amis, sa fête d’anniversaire que l’on voit à l’écran dans Une foule, comme si Gaspar avait éprouvé le besoin d’être entouré par certains éléments constitutifs pour s’exprimer en son nom seul. « Avec Tancade, j’avais envie de plaire, que cette musique plaise. Sans savoir si j’en étais capable, je m’étais donné pour mission de faire un disque très généreux et très ouvert, facile à entendre. »
Dans le clip réalisé par Ilan J. Cohen pour le titre 2359, Denis Lavant est le protagoniste principal. « J’ai dit à Denis, on va faire un clip. Tu vas courir. Il m’a répondu : “Tout le monde me fait courir depuis Mauvais sang, mais j’aime pas courir ! » Arrêtez de faire courir Denis Lavant maintenant, il a besoin de se reposer ! »
Avec Denis Lavant on en revient aux Cahiers de Nijinski et à Matthieu Prual. “Avec Matthieu, c’est une amitié de 20 ans, née dans un festival au Pays Basque. Nous sommes devenus frères de recherches sonores. Matthieu m’a fait découvrir Les Cahiers de Nijinski. Il voulait faire ça avec Denis Lavant. On était tous les trois déjà en contact. Matthieu a monté la production et cela s’est fait assez simplement avant le premier confinement. »
Mais Gaspar Claus n’est pas seulement un musicien aux mille propositions : depuis cinq ans, il est le directeur du label, Les disques du festival permanent. Pour donner vie aux projets dont il est à l’initiative ou partie prenante, comme Vacarme, Kintsugi ou son duo avec Casper Clausen. Et pour promouvoir les artistes qu’il aime, comme Sourdure, Borja Flames ou encore Marc Melià. Un coup d’œil à la page du label sur le site Bandcamp donne une idée de la richesse de l’univers sonore dans lequel Gaspar évolue.
Il va pourtant cesser de sortir des nouveautés : « Un label, c’est une maison dans laquelle il n’est pas toujours facile d’entrer. T’es là avec ton disque ou ton projet orphelin et à un moment donné, il y a une maison qui t’ouvre ses portes pour s’occuper de toi. Après 5 ans d’existence, 16 productions et 14 pressages, je pense que je vais fermer l’orphelinat. Je n’arrive pas à m’occuper des enfants comme ils le méritent. Je suis seul et si tu veux bien faire les choses, tu y passes tes journées. Là, je finalise la dernière production – on va sortir Le cri du Caire – et le label va continuer seulement comme outil de coproduction avec le label InFiné uniquement sur mes propres projets. »
L’heure tourne. Pour presque conclure, je demande à Gaspar quel est le projet parmi ses nombreuses collaborations qu’il a envie de mettre en avant, là, au moment où on se parle. « Mon sextet de violoncelles. J’ai écrit cette pièce pour six violoncelles qui jouent en cercle, et je l’adore. Elle dure quarante-cinq minutes et n’a pas été beaucoup jouée. Le public est tout autour et le son circule, et c’est vraiment jouissif. J’aimerais bien en faire un film en réalité virtuelle. Il n’y a personne au centre du cercle. On pourrait y mettre un spectateur en réalité virtuelle, qui puisse se diriger vers l’instrument qu’il a envie d’entendre. »
Gaspar doit encore dîner et se préparer avant de monter sur scène. La rencontre se prolonge finalement à table avec le reste de l’équipe autour du cinéma de Cronenberg et de son rôle principal, à 14 ans dans le téléfilm Le baiser sous la cloche. Un autre fil à son archet déjà bien fourni.
Jean Do