RENCONTRE AVEC JOËLLE SAMBI ET SARA MACHINE :
“LA POÉSIE COMME ARME DE DESTRUCTION JOYEUSE”
Mercredi 11 octobre, dans le cadre du festival MidiMinuitPoésie, Pannonica accueillait sur la scène de la salle Paul Fort le projet Caillasses Live, des textes écrits, dits et slamés par Joëlle Sambi et mis en musique par Sara Machine (Magali Gruselle), qui mêle funk, hip hop, afro-électro et chants traditionnels congolais.
Caillasses Live : huit morceaux qui crient la colère envers le rejet de la différence qu’elle soit de genre, de sexe, de classe ou d’origine ethnique. La rage contre les violences verbales, psychologiques, physiques faites aux victimes d’insultes, de haine, de bannissements, qui condamnent à se construire avec cicatrices, blessures, souffrances, humiliations.
Huit morceaux qui interrogent aussi : comment se définir dans notre monde hétéronormé, comment trouver sa place entre “le marteau et l’enclume, entre la peste et le choléra, la lame et le ravin”. Des mots et des paroles fortes pour exprimer le désarroi, la solitude, mais aussi la sororité (“Je n’étais pas là mais j’étais avec toi”). Mais les textes de Joëlle parlent aussi de luttes de classes, de violences policières, d’amour, de sexe, de désirs, de sensualité et de plaisir.
Influencée par Toni Morrison, Jude Jordan, Kae Tempest, Sarah Kane, Virginie Despentes “pour sa langue et la manière dont elle croque les personnages” Joëlle qui vient plutôt de la fiction, de la littérature aime “l’immédiateté du slam. La trajectoire est moins longue que celle de la parution d’un recueil de poésie. C’est important aussi d’avoir ces formes-là qui explosent et de le faire dans la joie”.
Les textes sont ancrés dans l’expérience d’une communauté. La question du racisme, la question de la lesbophobie, mais aussi des violences: « À voir le monde dans lequel on vit, ça me semble un peu difficile de ne pas se sentir interpellées, de ne pas ressentir le besoin d’inverser un peu la tendance. Ce qu’on dit là, sur scène, c’est ce qu’on est. Ces mots-là doivent être dits. Il y a des personnes qui sont convaincues et ça leur donnera de l’espoir et l’envie de continuer. Il y en a qui n’ont pas envie d’être convaincues et notre but, ce n’est pas de les changer, mais de dire ce qu’est notre réalité. Dire : vous ne pourrez pas faire comme si ça n’existait pas, vous vous voilez la face.”
Joëlle et Magali, c’est tout d’abord une histoire d’amitié. Cela se sent sur scène : elles partagent un amour de la musique, notamment de la rumba congolaise. Cette musique fait partie de la culture d’origine de Joëlle : “Au Congo cette musique est partout dans les rues”, elle est le socle de l’indépendance, de la lutte, elle est d’ailleurs reprise dans beaucoup de musiques actuelles. “Je suis une femme noire et Mag une femme blanche et on se retrouve et on crée. On se rejoint à cet endroit-là et on se découvre un goût, un plaisir à partager et à créer à partir de morceaux, de sonorités qui viennent de chez moi, d’autres qui viennent d’ailleurs”.
Leurs combats féministes et LGBTQIA+ les ont aussi réunies : “Il y a monter des barricades, aller en manif’, faire corps et se rassembler. Et puis il y a la scène et on le vit comme une catharsis. C’est aussi “une façon de sortir ce qu’on a d’une façon joyeuse”.
Est-ce que les choses évoluent ? Magali relève que quand elle était ado, “on ne parlait pas de transidentité, les parents ne consultaient pas pour leur enfant afin de savoir ce que c’était, comment ça se passait » Et, “malgré l’influence de certains médias qui donnent l’impression qu’on retourne en arrière, il y a quand même beaucoup d’avancées au niveau de la société”. Pour Joëlle, “c’est justement parce que ça change, parce que ça bouge, que de l’autre côté, ça se corse. J’aime bien l’image des soubresauts d’un corps en fin de vie avant qu’il ne rende l’âme. Je ne vais pas dire que je suis totalement optimiste, je l’avoue, mais pour autant, je me dis qu’on est légion et c’est notre force. “
Pour l’avenir, auraient-elles envie que les différences de couleur, de genre, soient tellement intégrées, qu’elles ne se remarquent plus, qu’elles soient uniformisées pour éviter les discriminations ? “La question ce n’est pas tant le fait d’être différent, c’est plutôt qu’est-ce qu’on en fait ? Pourquoi certains seraient supérieur.e.s et d’autres seraient inférieur.e.s ! Uniformiser cela rendrait les choses un peu monotones. Moi je trouve intéressants les aspérités, les différences, des styles musicaux totalement éloignés. Et pareil dans l’écriture. Ce qui permet ça, c’est le fait qu’on vient d’une culture, d’une famille, on a une expérience de par ses origines. Il ne faut pas effacer cela”.
Notre rencontre se termine dans de grands éclats de rire, lorsque à l’image de la baronne Pannonica, qui posait la question à ses artistes préféré(e)s), nous leur demandons leurs vœux pour le futur. Si Magali, souhaite à l’humanité de voir émerger une intelligence collective, le vœu de Joëlle,c’est d’“avoir suffisamment de « moula » pour vivre, être tranquille. Pour la collectivité, pour nous, la famille. Et qu’on continue de créer et de prendre du plaisir à le faire ensemble, même quand on sera vieilles, grabataires et fatiguées.”
KaKo
CRÉDIT PHOTOGRAPHIQUE : CHAMA CHEREAU / MAISON DE LA POÉSIE DE NANTES