INTERVIEW
TOM MALMENDIER : « SI ON AIME LA MUSIQUE ET QU’ON DÉCIDE D’EN JOUER, ON EST MUSICIEN ! »
Tom Malmendier est un jeune musicien improvisateur, batteur, compositeur, accompagnateur ou véritable élément moteur, il est aussi co-fondateur d’un label intitulé eux-saem. Sur ce dernier paraît « There or here and that », cet album est issu d’un quartet – devenu trio – que l’on accueille samedi 3 décembre.
Parler de Tom Malmendier, c’est avant tout aborder la nouveauté et ce, dans tous les sens du terme. À la fois, parce qu’improvisateur et performeur hors-pair, il y a fort à penser que chacun de ses interventions sur scène, reste unique et éphémère. Secondement, parce qu’il émerge d’une scène indépendante et libre, celle des musiques improvisées et expérimentales. Enfin, parce qu’il est aussi un véritable vent de fraîcheur, une belle rencontre humaine, avec toute la bienveillance dans le regard ou dans les réponses d’email, surtout quand on le dérange lors d’une tournée et répond avec enthousiasme à nos questions.
Nous l’avions rencontré et vu cet été au festival Jazz à Luz, dans le projet Nuits qui avait particulièrement plu à l’équipe. Sur scène, il était aux côtés notamment d’Emilie Škrijelj, incroyable accordéoniste, avec qui il partage le label « eux sæm » et de nombreux projets. Il a appris la musique seul et en autodidacte, il explore, expérimente et voit en l’improvisation une véritable manière de jouer de la musique. Tom Malmendier est une véritable figure des musiques libres, dans le paysage sonore actuel, français et européen. Il nous en dit plus alors, sur la ou les scènes musiques libres et improvisées ainsi que l’univers dans lequel il gravite.
Tu as appris la musique en autodidacte, un peu par hasard. Peux-tu nous raconter la manière avec laquelle tu as apprivoisé la batterie ?
Oui, j’ai commencé à jouer parce qu’un jour un ami a laissé sa batterie dans mon salon. J’avais 22 ans, du temps libre, et malgré un appartement en ville, pas de voisins directs. Donc merci Lionel ! J’ai commencé en jouant sur des disques de jazz et de hip-hop. En plus, j’avais de bons copains musiciens qui passaient souvent à la maison et qui acceptaient de jouer avec moi, donc très tôt j’ai joué avec des gens meilleurs que moi. C’est une chance énorme parce que ce sont les meilleurs professeurs. Avec eux on improvisait surtout. Dans plusieurs styles, ou plutôt en mélangeant pleins de styles. Parfois on improvisait librement aussi, et puis, de plus en plus librement !
En parallèle j’ai découvert le festival Météo à Mulhouse, et là il y avait des workshops ! Ça a changé ma vie ! Je ne serais sans doute pas musicien s’il n’y avait pas eu ça ! C’est aux workshops (j’en ai fait six !) que j’ai connu la plupart des gens avec qui j’ai commencé à jouer et à tourner ! J’ai ensuite essayé de jouer le plus possible, avec le plus de gens différents possibles, participer à toutes sortes de projets, les plus bizarres et fous ; en gros toujours explorer et rester curieux, et essayer de trouver ce que moi et mes sons, on pouvait faire là.
Quels sont les règles et principes que tu tiens à respecter pour créer ?
Je ne crois pas avoir de règles ou de principes dans la vie… Mais quelle que soit la situation, ou le projet dans lequel je m’engage, j’essaie de faire en sorte que ce ne soit que du fun ! Sinon j’ai vraiment l’impression de perdre ma vie et je déprime. On n’a pas le temps pour s’emmerder…Et ce n’est pas trop compliqué, parce que je me rappelle plusieurs fois par jour à quel point c’est une chance de faire ça ! De jouer, et d’en vivre… C’est fou. Donc même quand il faut se lever tôt, faire beaucoup d’heures de voiture, décharger, recharger du matériel, etc. ça va, je joue, c’est une chance incroyable !
Tu vis aujourd’hui à Metz, dirais-tu qu’il y a une scène musique impro expérimentale là-bas ? Sinon, où dirais tu qu’elles se situent en France ou quelle autre ville dans ce domaine, aimes-tu fréquenter ?
Je ne dirais pas qu’il y a une scène impro expé, « scène » entendue dans le sens où on peut y trouver pleins de musiciens, pleins de lieux, et donc une émulation qui découlerait de ça, mais il y a l’association Fragment, qui organise beaucoup de concerts et d’événements. Vraiment beaucoup ! Elle crée donc tout de même un mouvement, un élan, et des échanges. Metz est un carrefour, proche de la Belgique où j’ai encore pas mal de projets, mais aussi de Strasbourg, de Nancy, pas loin de Paris, et très proche de plusieurs festivals importants comme Densités, Musique Action et Météo.
Concernant les scènes en France, les lieux à Paris ont tendance à se raréfier (comme partout…) mais j’y connais plein de superbes musiciens ! Je connais très peu Toulouse mais j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de très chouettes musiciens aussi, faudrait que je descende par là un peu. À Lille, il y a le collectif Muzzix, et plusieurs gens qui gravitent autour. À chaque fois que je vais dans un endroit que je ne connais pas, je rencontre des musiciens, et on me parle d’autres musiciens que je ne connais pas… Donc il y a sûrement pleins de micro-scènes un peu partout. Je crois que c’est très riche à explorer. Enfin, je ne vais pas être original, mais j’adore aller à Berlin ! Même si tous les plus anciens disent que ce n’est pas comparable avec la même ville d’il y a 20 ou 30 ans, c’est quand même celle avec le plus d’émulations et le plus de gens à rencontrer que je connaisse.
Quels artistes t’inspirent ?
Je suis obligé de citer Fred Frith, bien sûr ! Je crois que c’est le film « Step across the border » qui m’a mis vraiment la plus grosse claque au sujet de Fred. J’étais tout jeune musicien, déjà très curieux d’expérimentations et de libertés, et ce film a complétement abattu les quelques cloisons qui restaient dans ma tête.
Il y a aussi Okkyung Lee, Chris Corsano, Axel Dörner, Christine Abdelnour, DJ Sniff, Mike Ladd, Christian Marclay…. Un peu plus récemment, j’ai découvert Mariam Rezaei au festival Météo à Mulhouse, et le nouveau solo de Julien Desprez, bam!!. Je pourrais vous en donner des dizaines en fait…
Mais bien sûr, il n’y a pas que les musiciens improvisateurs qui sont inspirants, comme ça un peu en vrac et sans ordre particulier je pourrais citer Marina Abramovic, Peter Tscherkassky, Martin Arnold, Gaspard Noé, Jackson Pollock, Quentin Dupieux, Edouard Baer, Thomas Gunzig, Lucio Bukowski, Venetian Snares, Dillinger Escape Plan, … Et puis j’ai un truc avec la danse, j’adore jouer avec des danseurs, leur énergie et leur liberté ça m’inspire très très fort ! Alors des gens comme Israel Galvan, Boris Charmatz, Daina Ashbee, Julien Carlier, un jeune danseur et chorégraphe belge avec qui je joue beaucoup, Melina Boubz, également jeune danseuse et chorégraphe, française, découverte à Avignon. Ces deux derniers viennent du hip-hop et développent dans leurs créations une approche très fraîche, mélangeant hip-hop et contemporain.
Fred Frith
Comment as-tu rencontré Fred Frith justement et comment s’est faite votre collaboration ?
Je dois cette rencontre à Clara Weil, qui est une chanteuse strasbourgeoise, et à l’origine de ce groupe (qui donc est originellement un quartet) mais qui malheureusement a dû annuler cette tournée pour diverses raisons. Elle a été élève de Fred à la Hochschule für Musik de Bâle, en Suisse, et ensuite ils ont joué et enregistré ensemble, à New York notamment. Fred joue beaucoup avec d’anciens élèves à lui, c’est un lien qu’il aime garder, il est très ouvert à ça. Il a donc toujours laissé la porte ouverte à Clara pour rejouer, ou monter un projet un jour. Et ce jour est arrivé en juin 2018. Elle m’a appelé pour me proposer de créer ce groupe, avec Anil Eraslan. On a réussi à se rencontrer tous les quatre en novembre de la même année, à Strasbourg, directement au studio pour enregistrer ce qui est devenu « There or here and that », un titre proposé par Fred, que l’on a sorti sur « eux sæm », notre label monté avec Emilie Skrijelj.
Une partie du catalogue eux sæem / voir tout
Tu as en effet monté ton propre label aux côtés d’Emilie, quelles sont les raisons qui vous ont motivés ?
Quand on a été la première fois en studio avec Emilie, on savait que la situation du disque était compliquée, et qu’il était devenu très difficile qu’un label accepte de sortir ton album, et que lorsque cela arrivait, très souvent il fallait payer. Les prix varient entre le coût de production du CD, jusqu’à des sommes un peu délirantes, et tu demandes à quoi sert en fait cet argent. On s’est donc dit dès le début qu’on sortirait le premier disque nous-mêmes, ça nous permettait de tout faire comme on en avait envie.
J’avais déjà vu les dessins qu’Emilie fait, qui sont en fait des empreintes d’objets sur du papier carbone, et j’adorais ! Je lui ai alors demandé qu’un de ses dessins soit la pochette de notre disque. Et puis en avançant, on a commencé à se dire qu’on pourrait donner un nom au « label », de manière à pouvoir sortir d’autres projets à nous dessus, si des occasions se présentaient… Le nom « eux sæm » est apparu et nous a plu (il y a en plus du jeu de mot, une évocation de l’amour, ça nous plaît…) (NDLR : me glisse-t-il assorti d’un smiley)
Donc le premier disque, « Les Marquises », est sorti en février 2020. Quelques mois plus tard l’album en quartet avec Fred, Anil et Clara était prêt, on a demandé à deux labels, et puis avec Emilie on a proposé de le sortir. Et à peu près en même temps, Emilie créait à distance (c’était en plein confinement, rappelez-vous!) avec Lê Quan Ninh et Loris Binot des pièces, qui sont devenues l’album « Distant Numbers ».
Ensuite en janvier 2021 on a sorti l’album de « nuits », « Latitudes ». Donc quatre albums en un an, et puis plus d’un an et demi avant la sortie de deux nouveaux albums là, en septembre et novembre. Notre catalogue compte désormais 6 parutions… et les pochettes d’Emilie sont de plus en plus belles !
Penses-tu que tout le monde puisse devenir musicien ?
Bien sûr ! Je le suis devenu moi ! (NDLR : me reglisse-t-il avec un smiley)
Donc oui on peut. Si on aime la musique, et qu’on décide d’en jouer, on est musicien ! Pas besoin nécessairement d’être « professionnel » (je déteste ce mot !) pour se dire musicien. La suite, le fait d’en vivre ou pas, ou juste que ça soit le centre de sa vie, c’est aussi beaucoup une question d’envie, d’ambition, de travail et de chance… Au fond de moi, je pense même qu’on est déjà musicien quand on est auditeur, le fait d’écouter c’est le premier acte musicien.