RENCONTRE
HÉLÈNE LABARRIÈRE, L’ÉMANCIPATION JOYEUSE
La contrebassiste présente « Puzzle » au Pannonica, le vendredi 17 mars.
Au cours de l’après-midi et en amont des balances, nous prenons le temps d’échanger sur ce projet qui se veut tant musical que militant.
Hélène Labarrière rêvait de devenir danseuse. Elle a finalement été emportée par l’enthousiasme de ses frères musiciens. Ils lui ont fait découvrir les morceaux pop des Beatles, des Stones. Puis de nombreux concerts où la créativité et l’émulation des lives rock pop et des clubs de jazz l’ont conquise.
« C’était le Paris des années fin 70 début 80, avec une grande vie culturelle parisienne et une grande vie de la nuit et du jazz. Et donc c’est comme ça que j’ai découvert cette musique, pas par les disques, mais vraiment par le live de musiciens de toutes sortes, des plus grands aux plus obscurs, … ce qui me donne d’ailleurs une culture assez hétéroclite ».
On ressent tout cela dans sa musique, dans son énergie sur scène, des sonorités d’un jazz classique à des morceaux plus fougueux.
Dans le cours d’une belle carrière de contrebassiste, on lui a proposé de monter son premier projet : « Puzzle ». Il concrétise à la fois le compagnonnage de cinq amis, avec qui elle a partagé l’écriture au travers de l’histoire de cinq femmes emblématiques et son envie de partager la scène avec un nouveau quintet de cinq musicien.ne.s avec Catherine Delaunay (clarinette), Robin Fincker (saxophones), Stéphane Bartely (guitare) et un compère de longue date, Simon Goubert (batterie).
Ce spectacle, Hélène Labarrière a donc décidé de le construire autour des femmes qui l’ont toujours inspirée. « L’idée était de relier chacun des morceaux à l’histoire d’une femme. Mais pas n’importe quelles femmes : des femmes militantes, des femmes émancipatrices pour elles-mêmes et pour l’humanité. »
Elle compose les cinq pièces du “Puzzle” et, pour les arrangements, les confie à cinq amis musiciens : François Corneloup, Marc Ducret, Jacky Molard, Sylvain Kassap et Dominique Pifarély. « Ce sont des amis mais ils représentent aussi de grandes aventures musicales. Ce sont des musiciens avec qui je joue depuis 40 ans, mais aussi avec qui je suis allée à des manifs, avec qui j’ai beaucoup parlé, ri… J’estime que je ne serais pas la personne que je suis si je ne les avais pas rencontrés »
Elle a écrit la musique des cinq pièces de “Puzzle” en pensant à des femmes qui ont marqué l’histoire au travers de leur vie, leurs combats féministes, sociaux et humains. Plusieurs ont vécu l’enfermement, l’âpreté de la vie pourtant elles se sont toujours battues pour aller au bout de leur rêve et de leurs idéaux.
Mais Hélène est contre l’idée du féminisme, politiquement correct, de la parité, des quotas qui feraient qu’une structure pourrait être amenée à choisir une femme plutôt qu’un homme, pas pour ses qualités intrinsèques mais pour son statut de femme. « Sous prétexte d’égalité, ça nous ramène au fait qu’on est des femmes et que finalement, pourquoi on est là ? Bah c’est pour remplir la case femme ! »
Hélène est déterminée comme la musique qu’elle a composée. Avec son grand sourire, on la sent vivre sa musique avec joie, ses doigts dansent sur les cordes. Tout au long du concert on ressent la fulgurance, la force de ces femmes qu’elle voulait mettre en lumière.
Le quintet est plein d’allégresse. Dès les balances (le moment où les artistes ajustent techniquement le son avant le concert) malgré un petit peu de stress et de trac, s’exprime le plaisir d’être ensemble et de partager un moment fort autour de la musique. On perçoit durant le set, la volonté d’Hélène de partager avec ses musicien.ne.s, qui chacun jouent avec beaucoup d’intensité. Ils respirent et vivent la musique écrite pour eux.
Hélène ne se met pas en avant sur scène, elle leur laisse une large place. On y reconnaît chaque caractère, chaque couleur musicale. C’est là que l’on perçoit toute sa générosité, son plaisir de jouer et de partager. Au travers des 5 pièces de ce puzzle musical, le quintet réussit merveilleusement à exprimer la vitalité et la force de ces femmes qui n’ont jamais lâché leurs idéaux, qui ont pu connaître la prison, l’exil, et qui malgré les sacrifices, ont toujours continué le combat pour faire avancer les droits des femmes et des hommes.
Voici les cinq pièces de ce “Puzzle” :
“A travers la vie” retrace le combat de Louise Michèle sous la commune, puis sa déportation en Nouvelle Calédonie. On peut y entendre une tristesse grâce au saxophoniste et à la clarinettiste exprimant la mélancolie, la douleur de l’exil. Mais le morceau exprime aussi la fureur, l’urgence de la révolte, le chaos grâce à la batterie, la guitare électrique et à la contrebasse. (Arrangement : Marc Ducret)
“Babayagas” écrit en mémoire de Thérèse Clerc, qui a imaginé des maisons construites et autogérées par et pour les femmes en difficulté et en fin de vie. Ce morceau est plein de gaieté et de fougue. Il évoque cette femme pétillante, qui a aidé dans le partage et la joie. Car comme le dit Hélène “la lutte c’est quelque chose de joyeux, c’est quelque chose de construit, mais pas d’austère, c’est gai aussi ! ” (arrgt: François Corneloup)
“Jane”. On ressent un peu de chagrin puis plein de vie, à l’instar de Jane Avril, qui fut internée dans l’hôpital du docteur Charcot, où elle connut les bals des folles. Par sa force, sa grâce et son art, elle eut ensuite une brillante carrière dans le Montmartre de la fin du 19e siècle. La musique se fait alors virevoltante, s’emballe, et se transforme en une danse électrisante. On imagine l’émulation entre les musiciens et les danseurs. La fulgurance, l’espérance dans un Tourbillon endiablé de danse et de musique. (arrgt: Jacky Mollard)
“Free Angela” est captivant. Un jeu rythmique avec des sonorités faisant référence à la musique afro-américaine, au jazz, au blues. La musique se fait alors plus rythmée. Une pièce célébrant l’écrivaine militante pour les droits des minorités, Angela Davis. (arrgt: Sylvain Kassap)
“Vivre sa vie” est un morceau fort, trépidant et intense, à l’image de la vie d’Emma Goldman, cette militante libertaire, russe exilée aux États-Unis. Devenue apatride, elle s’est battue sur plusieurs continents pour le respect des droits sociaux. (arrgt: Dominique Pifarély)
KaKo