INTERVIEW
SIMON MARY : “LA MUSIQUE OCCIDENTALE N’EST PAS AU CENTRE DU MONDE.”
Le contrebassiste Simon Mary était en concert samedi 25 mars salle Paul-Fort avec Krystal Mundi, son quintet de cordes et trompette se compose de Geoffroy Tamisier (trompette), Tomoko Katsura (violon), Marian Iacob Maciuca (violon), Guillaume Grosbard (violoncelle), depuis peu il s’enrichit de la voix de Sissel Vera Pettersen. Interview.
“Krystal Mundi” : pourquoi avoir choisi ce nom ?
C’est en référence aux influences de toutes les musiques du monde que j’ai eu envie de mettre dans cette formation. Ça peut être aussi des mondes ou des folklores imaginaires… Mundi me fait penser à ça. Quant à Krystal, c’est pour moi une sorte de planète, un monde de cristal où je vais capter des idées pour les regrouper au sein de cette formation.
Quand ce projet a-t-il pris forme ?
On s’est rencontrés la première fois en 2017. Je voulais retravailler avec Geoffroy Tamisier, avec qui j’avais collaboré au sein de Mukta et dans d’autres projets. Iacob Maciuca aussi, avec lequel j’ai beaucoup d’affinités musicales et de projets partagés. Puis ça a été la rencontre de Tomoko Katsura, la violoniste, et de Guillaume Grosbard, le violoncelliste. Notre premier rendez-vous a eu lieu en 2017 pour lire quelques morceaux que j’avais écrits, et pour voir si ça les intéressait. On a commencé notre première résidence en 2018 et notre premier concert s’est déroulé en juin, au Pannonica.
Concert de Missidah, en mars 2022 ©Marie-Noëlle Peridy
Krystal Mundi en 2018 © RBK Records
À propos de Krystal Mundi, on évoque la musique de chambre, qu’en penses-tu ?
Depuis une quinzaine d’années, je me suis beaucoup plongé dans l’écriture des cordes. C’est vrai que les cordes, surtout les petites formations, font tout de suite référence à la musique de chambre. On a ici un trio violons-violoncelle qui fait qu’on est un peu dans une musique de chambre intimiste. D’autant que la trompette de Geoffroy est très lyrique, il n’a pas un jeu percutant, il est plutôt dans l’intimité. Donc je comprends que ça puisse être qualifié de musique de chambre, et ça me va !
Tu as une appétence certaine pour les musiques du monde, peux-tu expliquer pourquoi ?
Pendant mon adolescence, j’ai beaucoup écouté de pop, de rock et de musique progressive. Et puis rapidement les musiques du monde sont venues à moi, en commençant par la musique indienne puis les musiques africaines. J’étais passionné par ces folklores, j’ai voulu m’en approcher. Je l’ai fait avec Mukta, groupe pour lequel j’ai étudié cette musique d’Inde du Nord et tenté de l’intégrer à de la musique occidentale.
Ensuite, au cours de différents voyages, j’ai rencontré des musiciens à Cuba, un joueur de steel drum de Trinidad, j’ai joué avec des musiciens roumains, moldaves avec qui j’ai expérimenté différentes musiques. Comme lors de rencontres avec des personnes dont on ne connaît pas bien la langue, Je trouve ça intéressant d’inventer un langage plus simplifié, un point central entre toutes ces musiques.Puis on essaie de faire quelque chose de ce langage commun qui s’élargit ensuite pour devenir un point d’ancrage. C’est ce qui m’intéresse dans ces rencontres.
La musique occidentale n’est pas au centre du monde. Il y a aussi toutes ces musiques extra-européennes, d’une incroyable richesse, qui se sont développées différemment. Comme pour les populations, il y avait peu de contacts entre elles et chacune s’est développée à sa façon. Depuis le XXe siècle, tout converge et se rassemble, c’est intéressant.
Krystal Mundi en octobre 2022 © RBK Records
Trouves-tu la musique indienne difficile à aborder ?
Chaque musique qu’on étudie, même la musique bretonne ou irlandaise, a une sorte d’accent. Comme pour les langues, on ne le « chope » pas toujours du premier coup. Il n’est pas écrit sur des partitions, il faut s’en imprégner.
On peut dire que dans la musique il y a trois grands éléments : l’harmonie, le rythme et la mélodie. La musique indienne a développé deux d’entre eux, laissant de côté l’harmonie qui, a contrario, a été développée intensément dans la musique occidentale. Il n’y a pas d’harmonie dans la musique classique indienne, c’est seulement la mélodie qui est développée à un très haut point et aussi les cycles rythmiques.
Les Orientaux sont des gens qui prennent plus le temps, qui sont méditatifs et moins dans l’action. Et ça se reflète dans leur musique. J’aime beaucoup le fait qu’ils prennent le temps pour jouer. Un morceau peut mettre une heure à se développer du début à la fin, alors que, nous, on a envie qu’en cinq minutes ça soit bouclé, intro, développement et coda compris ! C’est une autre façon d’appréhender la musique et de voir le monde.
Je reste bien sûr un occidental avec des racines françaises et je n’essaie pas du tout de me mettre dans la peau de ces personnes-là. Mais c’est intéressant d’incorporer et de comprendre des éléments de langage qui enrichissent ce qu’on peut faire.
Sissel verra Pettersen est une nouvelle venue dans ton monde de cristal…
© Juliane Schütz
Suite au premier projet de Krystal Mundi avec lequel on a enregistré un disque en 2019 et fait une quarantaine de concerts, j’avais envie de continuer l’expérience avec les mêmes, mais je me disais que c’était bien d’ouvrir sur un autre timbre, une autre couleur. J’avais envie d’une voix, mais pas d’une voix qu’on accompagne avec le quintette et qui soit au centre. Je voulais une voix comme une couleur, comme un instrument. J’ai cherché, j’ai écouté beaucoup de chanteuses et de chanteurs.
Surtout des chanteuses : j’avais envie d’une voix cristalline qui nous amène assez haut. Et j’ai entendu Sissel Vera Pettersen. Ce qu’elle fait m’a beaucoup plu, je l’ai contactée, on a échangé, et je lui ai fait écouter ce que je faisais. Elle a rapidement accepté, ça s’est fait très naturellement.
Dès qu’on intègre une nouvelle formation, on apprend, on voit comment les autres fonctionnent, leur façon d’organiser la musique. On a tous des petites choses à nous, et je pense que notre rencontre l’intéresse aussi pour cette raison.
Propos recueillis par Patrick
Simon Mary / Son disque de chevet
» C’est le disque de Charlie Haden et Keith Jarret en duo intitulé Jasmine, un des derniers disques qu’ils ont enregistré avant la mort de de Charlie Haden. »